Un rapport de l’inspection générale des finances et de l’inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche vient d’être rendu public. Il passe en revue les dépenses en faveur de la jeunesse. Et propose également trois scénarios pour profiter de la baisse démographique pour sabrer dans les postes d’enseignants, fermer des classes voire supprimer des écoles et des collèges.
Le constat
Dispositifs en faveur de la jeunesse
Le rapport constate que le gouvernement a mis en place plusieurs dispositifs depuis l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron en 2017. Ainsi, le coût total annuel de ces mesures est de pratiquement 11 milliards d’euros.
L’essentiel de la dépense va vers le programme « 1 jeune, 1 solution » pour 9,7 milliards d’euros annuels. Viennent ensuite le service civique (518,8M€ annuels), le pass culture (267,4M€ annuels) et le Service national universel (160M€ annuels).

Revalorisation des personnels de l’Éducation nationale
Le rapport remarque qu’entre 2017 et 2024, les revalorisations des AESH et des enseignants coûtent 4,211 milliards d’euros annuel. Toutefois, pour les enseignants, les rapporteurs insistent pour dire que « la hausse de la rémunération en euros constants […] est de 0 % (elle couvre l’inflation) après quinze ans de carrière ». Malgré tout, les débuts de carrière (fortement en retard sur le salaire moyen des professeurs dans l’OCDE) ont connu une augmentation de 2 à 4% entre 2022 et 2024.
Par ailleurs, il est à noter que 23% de la hausse de budget dédiée à la revalorisation des enseignants correspond au « pacte enseignant » qui constitue du travail supplémentaire. Ce n’est pas une revalorisation inconditionnelle.

Il existe deux autres postes d’augmentation de dépense relatifs à l’Éducation nationale. Le premier est le dédoublement des classes de GS/CP/CE1 dans les écoles de l’éducation prioritaire pour 795 millions d’euros.

Le second correspond à la gratification des stages en lycée professionnel et l’augmentation des bourses sur critères sociaux. Au total, ce sont 773 millions d’euros dépensés.

Évolutions démographiques
Les rapporteurs font des projections sur l’évolution démographique des prochaines années et leur impact sur le nombre d’élèves scolarisés par niveau d’étude.

Ces évolutions à la baisse du nombre d’élèves dans les années à venir est toutefois à nuancer par ce qui s’est passé les dernières années. En effet, notamment en collège et en lycée, des postes d’enseignants ont été supprimés alors que la population scolaire augmentait. Une dégradation des conditions de travail a donc eu lieu avec l’augmentation du nombre d’élèves par classe (E/D = élèves par division). Au collège, il y a 25,41 élèves/classes en 2023 contre 24,95 en 2017. Au lycée, 30,61 contre 30,08 en 2017.
Du côté de l’école primaire, le dédoublement des classes en éducation prioritaire et la création de postes a permis une petite diminution de l’E/C.

Malgré tout, la France dispose des classes les plus chargées d’Europe, au collège comme en primaire, loin de la moyenne.
La loi de programme des finances publiques 2023-2027 prévoit toutefois des suppressions de postes massives. En 5 ans, 15500 postes d’enseignants disparaitraient. Les rapporteurs indiquent que « du point de vue de la direction du budget, la reprise intégrale des gains démographiques permettrait de réaliser un schéma d’emploi négatif supplémentaire de 11 241 ETP ». Ainsi, s’il y a une reprise de l’ensemble des « gains démographiques », cela entrainerait la suppression de 26 741 postes d’enseignants en 5 ans !

Trois scénarios pour saigner l’Éducation nationale & supprimer des enseignants, des écoles & des collèges
Les rapporteurs, sur la base de ces éléments, proposent trois scénarios pour continuer d’essorer l’Éducation nationale. Ce qui produirait sans aucun doute une augmentation du nombre d’élèves/classes (déjà le plus élevé d’Europe !), une dégradation des conditions de travail et une baisse d’attrait pour le métier (à l’heure où les démissions sont déjà en nette hausse…). Le rapport propose en effet de supprimer des enseignants mais aussi des classes dans les écoles et les collèges.
Scénario 1 : supprimer toutes les classes à « effectifs trop réduits »
Premier degré
Dans le premier degré, les rapporteurs identifient entre 360 et 600 classes qu’ils estiment « surdotées » avec un nombre d’élèves/classe plus faible. Ces fermetures impacteraient en particulier les niveaux CP et CE1 des communes urbaines denses et agglomérées, en REP et REP+.

Dans le scénario le plus « saignant », 600 classes seraient fermées (0,5% du total national). Cela concernait 484 écoles soit 2% du total national.
On note une sur-représentation de la Guadeloupe, la Guyane et la Martinique dans ces fermetures. Suivies de Paris, Reims, Bordeaux, la Normandie, et Besançon.

On remarque également que les grands centres urbains seraient en première ligne.

Ainsi que l’éducation prioritaire (et notamment les REP+) :

second degré : collèges
Pour ce qui est du collège dans le cadre du scénario 1, les rapporteurs identifient 1005 à 1436 fermetures de classe. Comme dans le premier degré, elles concerneraient principalement l’éducation prioritaire et les grands centres urbains. Dans le pire scénario « catégorie x niveau x projections démographiques B », 11% des collèges connaitraient des fermetures de classe. Et 1,1% des classes seraient fermées au niveau national.

On constate une sur-représentation de fermetures de classes de collège dans les académies suivantes : Créteil, Orléans-Tours, Dijon, Limoges, Strasbourg, Lille, Guadeloupe, Nancy-Metz.

Les collèges des grands centres urbains seraient les plus impactés. Toutefois, les autres communes ne sont pas épargnées.

L’éducation prioritaire serait par contre la grande perdante de ce scénario en terme de fermetures de classes de collège :

second degré : lycées
Pour ce qui est du lycée dans le cadre de ce scénario 1, les rapporteurs identifient la possibilité de supprimer 1387 à 1823 postes d’enseignants (soit 0,8% à 1,1% des postes). Ils proposent de récupérer jusqu’à 14199 « heures excédentaires », ce qui aurait un impact sur 29% à 35% des lycées GT.

Toutes les académies seraient frappées par cette reprise d’heures. Pour ce qui est des lycées publics, Versailles (-100 ETP) serait en première ligne suivie de Lille (-87 ETP), Créteil (-79 ETP), la Normandie (-73 ETP), …

Toutefois, si l’on raisonne en pourcentage, ces suppressions toucheraient beaucoup plus la Martinique, la Guadeloupe et la Guyane que les autres académies.

Ainsi, les communes rurales à habitat très dispersé paieraient un lourd tribut de cette saignée.

Scénario 2 : relever les seuils du dédoublement en éducation prioritaire
Les rapporteurs envisagent, à la demande des commanditaires du rapport, de relever les seuils de dédoublement en REP/REP+ entre 13 et 17 élèves/classe. Ils sont actuellement à 12 élèves/classe. Ce deuxième scénario du rapport permettrait de supprimer des classes (et donc des postes d’enseignants) dans les écoles en épargnant les collèges.
Selon le nombre d’élèves choisi, cette hypothèse conduirait à supprimer 1% à 12% des classes de REP et REP+. Un relèvement à 17 élèves/classe engendrerait la fermeture 2359 classes de CP, CE1 et CP-CE1, frappant 1623 écoles. 47% des écoles classées en éducation prioritaire seraient concernées.

Quel que soit le seuil choisi, les académies les plus touchées seraient : Guyane, Montpellier, Reims, Toulouse, Versailles et Lyon.

Scénario 3 : fermer des écoles/collèges et réduire le maillage territorial
L’objectif de ce scénario, le plus sanglant, est de fermer des écoles et des collèges avec deux conditions :
- une distance maximum de 20 minutes en voiture pour les élèves
- que la « réallocation des élèves » dans un nouvel établissement ne conduise pas à la création de classe nouvelle
Ce troisième scénario du rapport permettrait de supprimer massivement des postes d’enseignants dans les écoles et les collèges mais aussi de fermer des établissements scolaires.
Les rapporteurs proposent ainsi de fermer 4% des écoles françaises. Ce qui conduirait à condamner 1925 écoles et supprimer 4927 postes (EQTP) d’enseignants. Ce scénario frapperait davantage l’école publique que privée (seulement 2,9% des écoles et 0,9% des EQTP supprimés dans le privé).

Dans le second degré, 33 collèges seraient fermés, soit 0,5% au niveau national. 796 postes (EQTP) seraient détruits. Une sur-représentation des suppressions d’ETP en collège dans les académies de Lille, la Guadeloupe et Paris se dégagerait. Les suppressions se feraient principalement en REP+ et REP.

Dans ce scénario, pour ce qui est du premier degré, les académies les plus touchées seraient : Martinique, Clermont-Ferrand, Guadeloupe, Limoges, Corse, Dijon, Reims, Amiens.

Ce scénario frapperait principalement le « rural à habitat très dispersé » et très peu les zones urbanisées. À noter également que l’éducation prioritaire (et en particulier les REP+) serait sur-représentée par la suppression des ETP.

D’autres perspectives ?
Plutôt que de supprimer des postes d’enseignants, de fermer des classes, des écoles et des collèges comme préconisé par ce rapport, d’autres perspectives sont possibles. À rebours, il serait plus pertinent de profiter de la baisse démographique pour :
- revaloriser le salaire des enseignants qui est parmi les plus faibles de l’OCDE
- réduire le nombre d’élèves/classe qui est le plus élevé d’Europe dans les écoles et les collèges
- améliorer les conditions de travail des enseignants en baissant le temps de travail qui n’a pas diminué, dans le second degré, depuis la création du corps et n’a pas profité du passage aux 39h puis aux 35h. Les enseignants travaillent plus que les autres cadres de la Fonction Publique
- aligner le salaire des enseignants sur celui des autres catégories A de la Fonction Publique
Télécharge le rapport (source primaire) :